Pour Djoua

A Bejaia, un festival est né depuis trois ans, dans les bras d’une montagne oubliée.

Djoua, ce coin de paradis qui tutoie les nuages et surplombe la mer, désertée par ses habitants en 1958 lorsqu’elle fut déclarée zone interdite par les Français, a repris ses couleurs et ses voix grâce à un festival de montagne qui fêtera en juillet sa troisième édition.

Indépendant, iconoclaste et libre, ce méga-événement qui réapprend la vie aux silences injustes de la petite Kabylie, doit aujourd’hui se battre pour préserver sa ligne artistique et ses valeurs morales, face à une meute de fondamentalistes Taïwan qui veulent le « haramiser » ! On les a vus l’année dernière, gesticuler dans tous les sens et lancer des fatwas à tort et à travers, de leurs coins d’ataraxie et de paresse. Pour eux, organiser un festival international au cœur d’une Kabylie jalouse de ses traditions et de sa précieuse islamité, est une grave atteinte à l’honneur de la région. Cette année, ils ne se contenteront pas de jaser dans leurs meetings réduits destinés à détruire l’art et la beauté, ils tenteront d’enrôler les villageois et les propriétaires des terrains à Djoua pour tuer le festival. Ils mèneront ce travail d’intox et d’intimidations avec la bénédiction tacite des pouvoirs publics

 qui, eux aussi, sont « gênés » par l’ampleur que prend le festival.

Des pseudo-associations néo-inquisitrices se préparent dès maintenant à semer des bémols et des tâches noires dans la splendide symphonie de ce Woodstock algérien. Ils joueront notamment sur la fibre religieuse de nos bon vieux villageois perdus entre la tolérance originelle de leur religion et le rigorisme instauré et célébré comme le vrai Islam par de jeunes fielleux en mal de charia ! Ils dénonceront les habits « légers » des filles, le caractère transgressif des représentations artistiques, la consommation d’alcool en plein air, les jeunes amoureux venus se ressourcer à la fontaine de la musique. Ils diront que ce festival des impies défigure notre culture et veut occidentaliser notre cher patrimoine millénaire. Ils voudront mettre une burqa à Yemma Djoua, déraciner nos poésies et vitrioler nos musiques. Mais plus leur acharnement sera rude, plus obstinée sera notre présence à la montagne : nous viendrons nombreux

 chanter, danser et rire pour que Djoua vive libre et que les rimes et les mélodies de la Kabylie sortent enfin des carcans folkloriques et ataviques entretenus par les tenants de la culture officielle. Ces derniers savent maintenant que l’art peut survivre sans leurs « allocations » charitables : Djoua est le seul festival algérien, parmi les 153 autres, à entrer dans le guide du Routard !

Par : Sarah Haidar